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Incendie de Notre-Dame de Paris : quelles sont les plomberies d’art vaporisées ?

Par Christian DUMOLARD,

Membre Eminent de l'Association Restaurons Notre-Dame

15 février 2022


Elles s’envolent dans un lourd nuage. Parties en fumées ces figures en plomb disparaissent définitivement. Éloignées, difficiles à observer, les connaissait-on vraiment ? Christian Dumolard, Membre Eminent de l'Association Restaurons Notre-Dame, nous offre ce retour en arrière et dresse un point précis sur les plomberies d'Art la cathédrale Notre-Dame de Paris vaporisées lors de ce sinistre incendie du 15 avril 2019 ...


La frise végétale sur la faîtière de la toiture de la cathédrale : un feuillage décoratif d'une hauteur de 1 mètre ...

Sur l’arête de la toiture court une crête en plomb alternant feuillage stylisé et hampe végétale à la sommité semblable au lierre. Le feuillage s’inscrit dans une croix de Saint-André, en X, donnant du dynamisme.

Cette frise végétale est haute d’un mètre environ. Chaque élément en plomb est fichée sur une hampe verticale en fer solidement ancrée sur la poutre faîtière. La frise court sur la totalité de la toiture; nef, abside et deux transepts. Curieusement, à Notre-Dame, la frise est végétale alors qu’à la Sainte-Chapelle de Paris et aux cathédrales d’Amiens et de Reims la frise est à fleurs de lys, mariale ou royale. La majorité des cathédrales n’a pas de frise sur la toiture.

Frise végétale sur la faîtière de la toiture


Ces éléments sont fabriqués en nombre, issus de coulée de plomb dans un moule réservant un creux pour les ancrer sur les hautes tiges de fer fixées sur la poutre faîtière, comme le montre la photo de chantier de la restauration de 1982.

Le Journal des travaux tenu de 1844 à 1864 par Viollet-le-duc lors la restauration de la cathédrale indique pour le 19 septembre 1860 :"On a posé le faîtage et les fourchettes en fer destinées à supporter la crête en plomb sur la travée du chœur." L'ouvrage se poursuit, le 3 novembre 1860 : "On commence à poser la crête en plomb qui orne le faîtage sur la travée de comble du chœur qui a été refaite." Cette frise en plomb est appelée "crête" par les plombiers.


Ce feuillage est simplement décoratif. Vue du sol cette fine dentelle est une transition visuelle entre les plaques de plomb de la toiture qui arrêtent le regard et le vide du ciel.


La flèche comporte des éléments décoratifs et des éléments structurels.

Les gargouilles sont un élément structurel fondamental de protection du bâtiment. Elles évacuent l’eau de pluie tombant sur les deux étages de la flèche. Leur revêtement extérieur est en plomb

Gargouille évacuant l’eau de pluie du 1er étage à jour de la flèche


Ces gargouilles sont de part et d’autre de chacun des huit piliers formant la flèche, au premier comme au deuxième étage, soit trente deux gargouilles au total. Les artisans plombiers d’art leur ont donné deux types de tête qui servent pour l’ensemble des gargouilles. L’objectif était-il une réduction des coûts de fabrication ou un gain de vitesse d’exécution ? Par rapport à la restauration de la Sainte-Chapelle réalisée plusieurs années auparavant la décoration en plomberie d’art de Notre-Dame est pauvre en figures. Les gargouilles tournent leur tête vers la gauche ou vers la droite, évacuant par leur bouche l’eau de pluie collectée loin des piliers qu’elles surmontent, à l’image des gargouilles de pierre situées en contrebas sur les retombées d’arc boutant.


Des piques métalliques symbolisant des foudres qui s’apprêtent à jaillir du ciel et à tomber ici-bas ...

Entre les têtes des gargouilles du deuxième étage des piques métalliques hérissent son pourtour. Elle représentent des foudres qui s’apprêtent à jaillir du ciel et à tomber ici-bas. Elles voient leurs consœurs métalliques déjà à l’œuvre. Elles iront donc plus loin. Ce procédé ancien, cette idée symbolique de protection, est en usage depuis des siècles, comme le sommet de la flèche de la cathédrale d’Amiens où descendent des foudres ardentes et zigzagantes, figurées en plomberie d’art sous la forme d’une sorte de serpent plat sans tête sur chacune des huit faces de la flèche, procédé repris par l’architecte Jean-Baptiste Lassus pour la flèche de la Sainte-Chapelle refaite en 1853



Lorsque vous êtes au premier étage de la flèche, penchez-vous et levez la tête vers le deuxième étage. Les foudres menaçantes apparaissent, entre les gargouilles à tête de monstre. En tendant l’oreille vous les entendrez crépiter. Elles sont tournées alternativement à droite et à gauche. Le modèle est unique, mais le même élément est boulonné une fois en l’endroit et une fois à l’envers.


Pourquoi les architectes Lassus et Viollet-le-duc n’ont-ils pas repris le symbole du serpent plat en plomberie d’art, imitant les foudres ? La structure de la flèche de Notre-Dame de Paris est différente de celles d’Amiens et de la Sainte-Chapelle. Les pans de ces flèches sont plats. A Notre-Dame de Paris les huit pans sont inclinés chacun vers leur milieu longitudinal, chaque pan étant composé de deux demi pans. Vue du dessus la flèche de Notre-Dame est un octogone étoilé à huit pointes. Dans ce creux le serpent n’aurait pu se loger.



Au dessus du deuxième étage de la flèche huit monstres ailés, décoratifs, s’apprêtent à fondre sur les passants en contrebas.

Ces monstres ont une longue queue serpentine qui fait leur corps, des pattes avant ovines, des ailes déployées, appartenant à des oiseaux diurnes ou nocturnes, celles de nuit ayant deux crochets de type chauve-souris sur le devant de leur aile. Leur tête, enfin, est canine ou d’oiseau carnassier à bec de vautour. Les deux types de ces monstres alternent entre eux.

Quelle est leur signification ? A la Sainte-Chapelle de Paris, restaurée quelques années auparavant par les mêmes équipes de charpentier et de plombier, nul monstre sur la flèche, mais des anges portant les instruments de la Passion de Jésus-Christ alternant avec des anges jouant de la trompette pour annoncer le Jugement Dernier.

Ce rôle est dévolu à Notre-Dame de Paris à l’ange de pierre soufflant dans un olifant sur le pignon ouest de la nef, entre les deux tours. Viollet-le-duc, seul après le décès de Jean-Baptiste Lassus en juillet 1857, fait un plan aquarellé de la flèche en date du 29 octobre 1857. Sur ce plan les gargouilles et les monstres ailés figurent déjà, trois ans avant la mise en plomb de la flèche. Telle est la volonté du maître d’oeuvre.


A la Sainte-Chapelle le thème central incontournable est la relique ramenée de Constantinople, liée à la Passion. Les éléments en plomb de la flèche en tiennent compte. Ici, Viollet-le-duc fait le choix du « médiévalisme », avec un symbolisme lié à l’âge sombre fantasmé qu’incarne communément le moyen-âge au XIXe, comme ces monstres ailés menaçant.


Sous la croix, au sommet, une couronne en plomberie d’art présente un bandeau circulaire de seize roses

Continuons d’élever notre regard ...

Sous la croix, au sommet, une couronne en plomberie d’art présente un bandeau circulaire de seize roses. Chacune est composée d’un bouton central enchâssé dans une double rangée de cinq pétales. Cette représentation classique de la rose héraldique se retrouve au portail rouge de la cathédrale, côté nord. Au dessus court une frise en plomb de lys marial. Ces deux fleurs sont les attributs de Marie, mère de Jésus, patronne de la cathédrale « Notre-Dame ».


La croix est posée le 22 juin 1859, suivi peu après du coq.

Enfin, à la pointe, la croix et et le coq terminent l’ascension. M. Durand, plombier d’art, exécuta ces œuvres, la croix en acier, le coq en cuivre martelé, d’après les dessins qui lui furent remis le 19 avril 1859, comme le relate le « journal des travaux ». La croix est posée le 22 juin 1859, suivi peu après du coq. « Aujourd'hui 29 juin à 3 heures le coq (contenant les reliques et le procès verbal) a été mis en place par M. Antoine Durand à la pointe extrême de la croix en présence de M. Viollet le duc, architecte en chef de la cathédrale et des inspecteurs faisant partie de l'agence des travaux. »

Antoine Durand (1820-1870) et son frère Louis (1818-1860) ont une entreprise de « plombier-fontainier » fondée par leur père. Ils effectuent les plomberies de la cathédrale Notre-Dame, de la Sainte-Chapelle, de la cathédrale d’Orléans et d’autres édifices. Dés 1848 ils sont adjudicataires des travaux de plomberie à Notre-Dame. Ils retrouvent la technique perdue du martelage du plomb sur fonte de fer, comme l'indique Viollet-le-duc dans son "Traité d'architecture", tome 7, page 215, note en bas de page :"redécouvre l'art perdu du plomb d'art".


Les frères Durand se sont représentés sous la forme de deux mascarons parmi les huit figurant sous l’ange de l’abside de la Sainte-Chapelle de Paris. Sur la couronne, au sommet de la tête de Louis, figurent l’équerre et le compas du compagnonnage et les instruments du dinandier, mais il décède jeune, âgé de 41 ans, laissant une veuve de 36 ans. Son décès est mentionné dans le "Journal des travaux", ce qui marque son importance. Les huit mascarons sous l’ange d’abside et les huit mascarons sous le coq de la flèche sont un trésor très discret de la Sainte-Chapelle, invisibles du sol. Ces seize personnages figurés avec une précision photographique furent les artisans de ce renouveau néogothique du XIXe siècle

Les mascarons figurant la tête des frères Durand à la Sainte-Chapelle de Paris


Ne quittons pas la flèche sans évoquer la multitude de petites œuvres en plomb, comme les crochets et les feuillages destinés à égayer les arêtes verticales


Puis dirigeons nous à l’est, en bout d’abside ...


Une magnifique croix à huit branches, en fer forgé, plus importante que celle de la flèche, surplombe l’hémicycle de la charpente.


Mais, qu’elle est cette ondulation au pied de la croix ? Nous distinguons mal.


Rapprochons-nous.


Une bête ondulante, serpent à tête de chien, se dévore lui-même. Sa tête est à l’orient. Il ondule verticalement sur lui-même, tournant autour de la croix. Figure de l’Ouroboros il se dévore et se renouvelle éternellement, incarnant le cycle du temps qui passe comme la vouivre, puissance de vie qui meut toute chose ici-bas.

Ce chien-serpent est flanqué de deux bêtes de cauchemar accrochées au flanc nord et sud de l’hémicycle.



« Cet être de cauchemar se situe en contrebas et à l'aplomb de la vouivre, dont il reprend la forme serpentine et le dos bosselé à la manière des dragons. La partie antérieure de cet animal hybride ressemble à un ovin, avec ses pattes avant terminées par un sabot à deux doigts. Sa tête est couverte par un bonnet d'âne ou de fou de cour, avec ses grandes oreilles dressées, comme celle du portail sud de la cathédrale. Celles-ci sont le symbole de l'entendement, elles permettent au fou du roi - qui porte le même attribut - de lui dire ses quatre vérités. Mais quel est cet objet rond et plat mis sur l’œil du monstre ? Est-ce la pièce posée sur l’œil du mort, ou sur sa bouche, servant à payer Charon, le passeur des âmes vers l'au-delà. Cet animal monstrueux semble cependant avoir l'âme bien chevillée au corps. Il s'arc-boute sur ses pattes avant et crie vers les parisiens comme pour leur rappeler qu'ils ne doivent pas oublier ici-bas les échéances d'En Haut auxquelles ils seront irrémédiablement confrontés, sans en connaître le moment. À ce monstre du côté sud répond un monstre semblable au côté nord de la toiture. »


Ces bêtes de plomb sont posées sur le toit de Notre-Dame le 15 octobre 1857 comme l’indique succinctement le « Journal des travaux » : « pose de la bête de plomb à l'extrémité de la partie droite du comble du chœur, côté du nord et de celle côté du sud. »


De toutes ces œuvres de plomberie d’art il ne reste rien. Tout a fondu ou s’est vaporisé dans les flammes du brasier, sauf le coq en cuivre et la croix d’abside en fer. Ces deux pièces, dans leur chute, sont sorties du champ des flammes en tombant dans le vide.


Les statues de cuivre en plaque martelé ont été sauvées

Ne sont pas évoquées dans cette article les statues de cuivre en plaque martelé de deux millimètres d’épaisseur et de trois mètres de haut des douze apôtres, dont l’architecte Viollet-le-duc donnant son visage à saint Thomas, patron des architectes. Ces statues furent ôtées de la flèche le jeudi précédent l’incendie pour être restaurées vers Périgueux par l’entreprise spécialisée Socra, ce programme étant prévu de longue date.

Les statues des apôtres dans l’atelier de l’entreprise Socra le 4 mai 2019


Faut-il pleurer cette perte ? Certes, oui, mais l’espoir est qu’à l’issue de la « restauration à l’identique », ou presque, de Notre-Dame ces figures de plomb ornent à nouveau les toitures de Notre-Dame.

N’oublions pas que les cathédrales de Chartres au XIXe, Reims, Noyon, Nantes, Léon, en Castille, au XXe siècle et tant d’autres monuments civils, dévastés par des incendies de toiture, purent, grâce à la ténacité des hommes de l’époque et une large mobilisation dans le pays, retrouver quasiment leur visage antérieur.


Christian DUMOLARD,

Membre Eminent de l'Association Restaurons Notre-Dame

15 février 2022

 

Crédit photographique : Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, Maurice Duvanel, Bernard Brangé, Christian Dumolard.

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