Dans leur rapport adressé au Ministre de la Justice et des Cultes le 31 janvier 1843, annexé au projet de restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris, Eugène Viollet-Le-Duc et Jean-Baptiste-Antoine Lassus, dressent en préambule des considérations générales sur la Restauration. Il est intéressant d'extraire de ce texte certaines de ces considérations notamment celle visant à la conservation de la matière : " en changeant la matière, il est impossible de conserver la forme ; ainsi, la fonte ne peut pas plus reproduire l’aspect de la pierre que le fer ne peut se prêter à rendre celui du bois ... ". extrait (1)
" Monsieur Le Ministre,
... ils nous paraîtraient fort exagérés dans la restauration d’un édifice dont l’utilité est encore aussi réelle, aussi incontestable aujourd’hui, qu’au jour de son achèvement ; d’une église, enfin, élevée par une religion dont l’immuabilité est un des principes fondamentaux. Dans ce cas, il faut non seulement que l’artiste s’attache à soutenir, consolider et conserver ; mais encore il doit faire tous ses efforts pour rendre à l’édifice, par des restaurations prudentes, la richesse et l’éclat dont il a été dépouillé. C’est ainsi qu’il pourra conserver à la postérité l’unité d’aspect et l’intérêt des détails du monument qui lui aura été confié.
Cependant, nous sommes loin de vouloir dire qu’il est nécessaire de faire disparaître toutes les additions postérieures à la construction primitive et de ramener le monument à sa première forme ; nous pensons, au contraire, que chaque partie ajoutée, à quelque époque que ce soit, doit, en principe, être conservée, consolidée et restaurée dans le style qui lui est propre, et cela avec une religieuse discrétion, avec une abnégation complète de toute opinion personnelle.
L’artiste doit s’effacer entièrement, oublier ses goûts, ses instincts, pour étudier son sujet, pour retrouver et suivre la pensée qui a présidé à l’exécution de l’œuvre qu’il veut restaurer ; car il ne s’agit pas, dans ce cas, de faire de l’art, mais seulement de se soumettre à l’art d’une époque qui n’est plus. Sous peine d’être entraîné, malgré lui, dans les voies les plus dangereuses, l’artiste doit reproduire scrupuleusement non seulement ce qui peut lui paraître défectueux au point de vue de l’art, mais même, nous ne craignons pas de le dire, au point de vue de la construction. En effet, la construction se trouve essentiellement liée à la forme, et le moindre changement dans cette partie si importante de l’architecture gothique en entraîne bientôt un autre, puis un autre encore, et, de proche en proche, on est amené à modifier complètement le système primitif de construction pour lui en substituer un moderne ; et cela trop souvent aux dépens de la forme. D’ailleurs, en agissant ainsi, on détruit une des curieuses pages de l’histoire de l’art de bâtir, et plus la prétendue amélioration est réelle, plus le mensonge historique est flagrant.
Ce que nous disons pour la conservation du système de construction, nous le dirons aussi pour la conservation rigoureuse des matériaux employés dans les formes primitives, d’abord dans l’intérêt historique, et surtout dans l’intérêt de l’art ; car, en changeant la matière, il est impossible de conserver la forme ; ainsi, la fonte ne peut pas plus reproduire l’aspect de la pierre que le fer ne peut se prêter à rendre celui du bois ... "
(1) Source : WikiSource
Titre : Projet de restauration de Notre-Dame de Paris (texte intégral)
Auteurs : Jean-Baptiste-Antoine Lassus,Eugène Viollet-le-Duc
Credit photo : Harmonia Amanda (conditions d'utilisation de la licence)
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