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Conception de la charpente de Notre-Dame : le spectre, vaste, des problématiques qui se présentent

Dernière mise à jour : 7 avr. 2021

Paris, 6 avril 2021


Par le Professeur Paolo VANNUCCI


Membre du Comité d'Expert du programme scientifique et universitaire de Restaurons Notre-Dame (rND), Paolo Vannucci est également Professeur des universités en mécanique des structures à l’université de Versailles- Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ), Responsable du Master Méthodes Mathématiques pour la Mécanique (MMM), Membre du Laboratoire de Mathématiques de Versailles (CNRS/UVSQ).



L’opération de recherche scientifique et technique relative à la reconstruction de la charpente, flèche et toiture de la Cathédrale Notre Dame de Paris, lancée par Restaurons Notre Dame (rND) en collaboration avec plusieurs partenaires académiques, se poursuit à l’aube du second anniversaire de l’incendie de Notre-Dame. Les phases 1 & 2 de ce programme ont été restituées au cours des dernières semaines, la phase 3, en cours, traite plusieurs points singuliers (notamment les effets du vent, les assemblages de la future charpente, le calcul normatif de la flèche et la toiture). Au-delà de la valeur formative que constitue ce programme universitaire, ces études ont révélé le spectre, vaste, des problématiques qui se présentent lors de la conception d’une telle structure.


Ces problématiques, qui sont au cœur des préoccupations de l’Association Restaurons Notre-Dame, sont les suivantes :

1. L’évaluation précise de l’état de la sous-structure en pierre (murs gouttereaux, corbeaux, piliers, voûtes). Certaines études montrent l’importance, pour finaliser une proposition de structure en bois de la charpente du toit, d'une prise en considération extrêmement précise de la pathologie structurale de la sous-structure en pierre, sans quoi la conception reste un exercice de style sans fondement concret. Ayant opté pour une approche paramétrique, l’association rND peut proposer diverses solutions de structures et de couverture, selon la situation de la sous-structure en pierre, mais un choix pertinent ne pourra être fait qu’une fois qu’un diagnostic de l’état de la structure en pierre soit disponible. Trois points nous semblent importants : la capacité portante résiduelle de la maçonnerie, sa durabilité dans le temps après l’incendie et l’état du chainage en fer des murs gouttereaux.


2. L’analyse des charges climatiques sur le long terme, surtout en relation avec les changements climatiques. Il s’agit d’avoir une estimation fiable des charges de vent dans les événements extrêmes, et de leur temps de retour. Ce point est essentiel pour estimer l’intensité du vent à prendre en compte dans les calculs et les pressions réelles exercées sur les façades de la cathédrale, les pans de la toiture et la flèche : le dérèglement climatique montre que les évènements extrêmes augmentent en intensité et en fréquence, mais à ce jour, faire des prévisions en se basant sur des données climatiques susceptibles de changer reste un problème ouvert. Seuls des essais en soufflerie de la cathédrale mise dans sa situation réelle (c’est à dire en intégrant notamment les constructions contiguës du quartier de l’ile de la cité) permettront de clarifier ce point essentiel. Pour un ouvrage tel que la toiture de Notre-Dame, l’action du vent ne peut pas seulement être estimée en utilisant les normes en vigueur (Eurocodes). Il n’est pas possible, pour l’heure, d’établir avec exactitude et fiabilité quelle sera la véritable action du vent sur la structure.


3. Il conviendra de déterminer le schéma statique précis final de la charpente du grand comble qui sera retenu sachant que la CNPA (Commission Nationale du Patrimoine et de l'Architecture), lors de sa réunion du 25 mars dernier, a notamment fixé ses conditions de réalisation : celle-ci sera refaite dans son état médiéval pour le chœur et la nef, sans les réparations et consolidations postérieures liées à des défauts d’entretien au fil des siècles.


4. Les joints de structure et les connexions avec la structure en pierre : cet argument est particulièrement important et en relation avec le point précédent et le suivant ; il est à mettre aussi en relation avec le choix du type de bois, si vert ou sec.


5. La durabilité : le véritable challenge est réussir à réaliser une structure capable de défier le temps comme l’ancienne charpente l’avait fait,


6. La couverture : le choix du type de couverture (voligeage plus tuiles en plomb, comme dans l’ancienne charpente ? autre(s) solution(s) ?) est fondamental pour plusieurs aspects : architectonique, structural, de durabilité, etc…

Restaurons Notre-Dame : Une aide précieuse et réelle pour la reconstruction de la Cathédrale

Ces points, qui ont émergé avec force lors de la présentation des projets (et c’est là, nous semble-t-il, la principale utilité des projets académiques : un « brain storming » qui fait émerger non seulement des propositions de solution mais, encore plus, des problématiques importantes), sont autant des sujets sur lesquels Restaurons Notre-Dame (rND) propose un dialogue réel avec les autorités en charge de la restauration de la Cathédrale et, en particulier les Architectes en Chefs des Monuments Historiques. L’expertise portée par l’organisation, sa force de proposition, le travail de recherche qu’elle organise (l’association rND se mobilise, à travers ses membres et son comité d’experts, sur pratiquement tous les points listés ci-dessus) ne peut que constituer une aide précieuse et réelle pour la reconstruction de la Cathédrale.


(*) Illustrations : Projet des étudiants Master 2 Génie civil "Architecture Bois Construction"


A propos : Les 3 phases du programme scientifique et universitaire de rND :

Ce programme scientifique est universitaire est dirigé par Franck Besançon (président de la Commission scientifique de rND) et Gilles Duchanois, Professeur à l'ENSA de Nancy


Phase 1 : (Septembre 2020 - Janvier 2021) : Elle s'inscrit dans le cadre de la chaire partenariale d'enseignement et de recherche en architecture, portée par l'ENSA et l'ENSTIB et labellisée en 2016, par le ministère de la Culture (dont Franck Besançon est également le Directeur). Elle s'attache à la valorisation des potentiels du matériau bois, dans une triple approche environnementale, patrimoniale et numérique.


Avec comme postulat de départ, le respect de l’existant (forme, géométrie, aspect extérieur) de la toiture de Notre-Dame de Paris, les jeunes professionnels et étudiants ont fait des propositions qui prennent en compte :


o les moyens de production actuels ;

o les enjeux environnementaux ;

o les questions de salubrité des matériaux employés ;

o le développement de la filière bois, de ses métiers et des bénéfices notamment en matière de formation des jeunes.


Phase 2 : (Octobre 2020 – Févier 2021) : traite des assemblages de la charpente et de la flèche, des effets gravitaires et climatiques et de l'analyse du cycle de vie.

Elle associe 5 grandes écoles (ENSA Nancy, ENSTIB Epinal, ESB Nantes, le HTW de Sarrebruck et l'Ecole Nationale de Météorologie de Toulouse) et se déroule au sein de plusieurs PFE (Programme de fin d'études du cycle ingénieur).


Phase 3 (Mars 2021 – Septembre 2021) : ces travaux universitaires doivent permettre au Comité d'Experts et à la Commission de coopération Scientifique, Technique et Universitaire de Restaurons Notre-Dame de mener une réflexion en profondeur en vue d'élaborer une proposition de restauration de la charpente, flèche et toiture de Notre-Dame destinée à l'Établissement public (synthèse collective). Deux Grandes Ecoles participent à cette phase : l’ENSA Nancy et l’ENSTIB Epinal. Cette phase 3 qui a débuté le 1er mars dernier comprend 4 parties :

  • Partie 1 : Avantages et inconvénients de plusieurs solutions de charpente par une comparaison structurelle identique : pour les mêmes sollicitations gravitaires et climatiques et même conditions d’appuis, prise en compte des jeux et glissements d’assemblage, ...

  • Partie 2 : Comparaison des différentes couvertures : Etude de l’étanchéité, conditions de pose et soulèvement au vent, impact sur l’ambiance dans les combles, variation de poids de toiture, impact environnemental, ...

  • Partie 3 : Assemblages : Détermination des raideurs et simulation des retraits sur l’ensemble des assemblages utilisés dans l’ancienne charpente, quantification des jeux et leur impact sur le dimensionnement en fonction de plusieurs scénarii de séchage des bois dans les combles, détermination de la qualité minimale d’un assemblage suivant sa position dans la structure. Vents : Description des pressions sur la toiture en fonction de plusieurs directions et vitesses du vent, portance et trainée sur la flèche, étude du soulèvement des différentes solutions : détermination du poids de toiture minimale en fonction des vitesses de pointe.

  • Partie 4 : Proposition d’un calcul normatif de la flèche : détermination des taux de travail dans les pièces de bois et dans les assemblages, détermination des actions d’appuis.


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